
Ange déchu
à propos de The Cameraman (2016) de Connor Gaston
par Clémence Lebon
15.03.18 - Supplément Web Ikkons 2
Le cinéma, a cette faculté de s’immiscer dans l’esprit de quelqu’un, de s’introduire dans son âme, d’y planter ses crocs et de ne plus rien lâcher. Le cameraman c’est celui qui ose s’introduire pour créer une nouvelle image de la réalité, pour créer sa propre réalité. Connor Gaston le montre bien dans son court métrage The cameraman, où il effleure de son regard quelques courts moments d’une vie familiale où la maladie a élu domicile. Ed, le plus jeune fils, filme avec sa caméra super 8 le difficile quotidien de sa famille : son père est atteint de la maladie d’Huntington.
Le film s’ouvre sur un sublime travelling avant où Ed se trouve encadré par la porte, face à la fenêtre. La caméra avance, et au même moment, on entend le son du mécanisme de la super 8, que l’on associe pas immédiatement à la caméra que tient Ed.La voix off de son frère Francis, plus âgé, s’énonce et pose le cadre de l’histoire. Il présente son frère Ed, le cameraman, qui, des années plus tard, va mourir.
L’omniscience qui caractérise Francis se retrouve à plusieurs reprises dans le film : il représente la figure paternelle, s’effaçant de plus en plus en la personne du père, que la maladie rend peu à peu invisible. Francis est l’aîné, il joue le rôle du grand frère protecteur, du chef de famille. Il part à la pêche, ramène le poisson pour le dîner, tout ce que son père faisait et n’est plus en mesure de faire. On sent tout au long du film cette tension entre le père et le fils qui s’ajoute à la présence de la maladie au sein du foyer.
Connor Gaston filme subtilement ces humains qui se percutent, s’éloignent, se rapprochent, qui ont finalement du mal à cohabiter à cause de la maladie qui, peu à peu, aspire toute chaleur humaine. On pourrait penser que la maladie est le sujet principal du film, mais la maladie n’est pas l’histoire, elle sert l’histoire. Elle n’est qu’un moyen permettant de mettre en scène ces relations conflictuelles.
La super 8 de Ed s’immisce dans ces relations, elle devient un membre de la famille. Sa présence nous donne à penser que les images deviennent des armes, une manière de se protéger de la réalité. Qu’est ce que le réel finalement? Connor Gaston filme un garçon qui réalise un film sur la relation entre son père et son frère. Il le fait pour pouvoir se souvenir, Ed le dit, il filme pour la préservation. Les images sont des souvenirs, elles sont malléables, mouvantes.
Ed montre à son frère une réalité sous-jacente à la leur, une réalité qui a été trop vite oubliée. Une réalité joyeuse, une vie familiale heureuse, une complicité entre Francis et son père qui a existé.
Mais cette complicité était-elle vraie ou une projection de l’esprit d’Ed ? Ed travaille sa pellicule, il la manipule pour donner un sens particulier aux images. Il colle, superpose, de manière à ce qu’au visionnage, les corps fusionnent. Il transforme ce qu’il y a de plus dur en quelque chose de meilleur ; la maladie en danse, et la haine en amour.